LA PAIX COMMENCE ENTRE NOUS
Nous nous sentons bien impuissant.e devant l’extrême violence qui secoue de nombreuses parties du monde en ce moment. Nous pensons qu’à notre petite échelle nous ne pouvons rien y changer. Et pourtant si…car la paix commence entre nous, par la façon dont nous sommes en relation, dont nous dialoguons avec l’autre, dont nous acceptons l’altérité.
Une relation, « C’est la communion sans peur, une liberté de se comprendre l’un l’autre, de communier directement »[1].
Communiquer par la parole est l’une des façons d’entrer en relation, de créer un lien avec autrui. C’est aussi le meilleur moyen d’exprimer nos différences et de confronter nos idées.
Cependant, la parole est forte non pas en tant que telle mais au travers du couple qu’elle forme avec la personne qui la reçoit. En effet, le fondement des relations humaines repose sur la capacité qu’ont les individus à s’écouter mutuellement. Emetteur-récepteur, les deux sont en nous mais encore convient-il de les unifier.
Localisé au niveau de la gorge, Vishuddha Chakra est le lieu de la réceptivité, de la capacité à la fois de s’exprimer et d’écouter. Or, ce chakra se trouve entre Anahata Chakra, le chakra du cœur, centre de l’altruisme, de la compassion et de l’amour, et Ajna Chakra, centre de l’intellect, de l’intuition et de la compréhension. Ainsi, la parole et l’écoute nous permettent de parler et d’écouter l’autre avec le cœur, avec sagesse et avec une compréhension intuitive.
C’est notre positionnement intérieur avant une discussion qui va en déterminer le caractère : cherchons-nous la rencontre ou bien la domination ? Désirons-nous donner ou nous approprier ? Voulons-nous dialoguer ou avoir raison ? Seul un vrai dialogue constitue une source d’enrichissement mutuel, permettant à la pensée et aux idées de s’élaborer en commun.
Un dialogue implique, de la part de l’émetteur, le désir de proposer une information sans vouloir l’imposer et, de la part du récepteur, le désir de se rendre disponible pour accueillir l’information. Cela exige, de l’un comme de l’autre, une ouverture et une attention soutenue à l’autre, dans la globalité de son être.
« La parole humaine contient potentiellement, depuis l’origine, la possibilité d’être au service de plus d’humanité, d’un lien social plus symétrique, plus respectueux de l’autre et plus doux à vivre »[2]
Dans un authentique dialogue, la personne qui parle ne doit pas uniquement être animée par un désir d’être écoutée. Pour elle, la personne à qui elle s’adresse est plus importante que le contenu qu’elle souhaite lui transmettre. Ainsi se crée un espace de respect et de liberté partagé.
Dans les textes du bouddhisme, la parole parfaite est définie comme étant véridique, affectueuse, serviable et utile. Elle est pleine d’amour et est basée sur la conscience de l’être et des besoins de l’autre, menant ainsi à la transcendance réciproque.
« …à travers le « je » et le « moi », c’est à notre condition profonde que j’en ai »[3], c’est-à-dire que le moi s’efface et l’on parle de l’humain, en cherchant en soi la source de vie toujours pleine, riche et mouvante où puiser pour établir une relation authentique. Avant de parler, nous pouvons nous demander d’où nous allons parler.
Quant à l’écoute, « Que veut dire écouter ? Cela veut dire aimer. Sans amour, l’écoute est impossible. Aimer signifie : être disponible à ce qui est là ».[4] Dans l’écoute véritable, nous sommes entièrement tournés vers l’autre, désireux de le/la comprendre, loin du miroir déformant de l’émotion. Nous nous sentons proche de lui/d’elle, avec sensibilité, lucidité et affection, le/la percevant dans la globalité de son être. Nous écoutons par tous les pores de notre peau, tous nos sens et notre intuition en éveil. Nous écoutons aussi les silences. « Et surtout, la pensée doit être vide, en attente ; ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va pénétrer. »[5]
Dans le yoga, nous recherchons un état d’unité qui n’est possible que si le mental est calme. Et c’est bien lorsque notre mental est silencieux que nous pouvons entrer en communion avec la personne qui nous parle. Quand j’écoute, qui écoute ? Peut-être sentons-nous en nous cet espace d’accueil illimité, vide et pourtant plein de ce qu’il perçoit. Ecouter à partir de ce lieu pour créer un espace commun dans lequel quelque chose de nouveau, de créatif peut advenir pour l’autre comme pour nous-même. Car finalement, peu importe ce qui est dit et entendu, ce qui donne la qualité à la relation, c’est le moment d’une expérience de partage pour les deux parties où chacune est dans un état d’ouverture à l’autre, de réceptivité, de réel désir de rencontre,
De tout notre être, nous aspirons à une complète unité à travers ce qui est dit et entendu, d’humanité à humanité, d’âme à âme. Lorsque le moi s’efface, une vraie rencontre se produit, qui procure un vécu de communion culminant parfois dans un silence qui rejoint le sacré.
En conclusion, parler, c’est « toucher en l’autre un espace de résonnance dans lequel il pourra écouter » … Ecouter veut dire ne rien savoir »[6].
Dialoguer de cette façon entraîne la paix entre nous, avec un effet papillon. Autrement dit, en nous transformant, nous transformons le monde.
Nicole Eraers
[1] La première et dernière liberté – Jiddu Krishnamurti, p.16 – Livre de Poche – 1994
[2] Eloge de la parole – Philippe Breton
[3] La promesse de l’aube – Romain Gary -p.160 – Folio – 2007
[4] De l’abandon – Eric Baret – p.71 – Ed. Les Deux Océans – 2004
[5] L’attente de Dieu – Simone Weil (citée dans la revue L’Attention n°0, p.5 – Edition Le Fennec
[6] De l’Abandon – Eric Baret – Ch. 11.